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Magazine ATE Ute Studer tricycle
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Cela fait onze ans que Hansruedi Stalder est aveugle. Depuis qu’il participe aux excursions du groupe de tandems Inclusio à Burgdorf (BE), la fièvre du vélo ne le quitte plus. La ou le pilote, comme on nomme la personne à l’avant du tandem, lui décrit les environs. «Il fut un temps où je voyais tout. Aujourd’hui, quand je traverse la forêt, je m’imagine que je la vois», nous explique-t-il. Viviane Barben, rédactrice à l’ATE, a elle-même officié comme copilote lors d’une sortie de 35 km. Et elle a constaté qu’avec Inclusio, le cyclisme n’a rien d’une tranquille sortie du dimanche. 

Ute Studer a elle aussi toujours aimé le vélo. Depuis quelques années, elle souffre de problèmes d’équilibre et se déplace donc sur trois roues au lieu de deux. Comme Hansruedi, elle ne craint pas l’effort. Elle aime partir à l’aventure le week-end venu et compte à son actif la Grosse

Les personnes qui circulent à vélo contribuent au changement.

Raphaël Dupertuis

Scheidegg, le Rigi ou encore le Pilate, pour ne citer que quelques-uns des sommets qu’elle a atteints. D’un revers de la main, elle balaie nos inquiétudes sur le danger potentiel de la descente: «J’adore rouler vite.»

La référence du jeune sportif

Hansruedi et Ute font partie des gens que l’on aimerait voir plus souvent à vélo. L’histoire du vélo helvétique est marquée par le concept étasunien du «vehicular cyclist». Le vélo est ainsi considéré comme une voiture de moindre valeur avec, en général, un homme derrière le guidon. Or, cela influence l’infrastructure; à de nombreux endroits, elle n’est tout simplement pas conçue pour des personnes comme Hansruedi ou Ute. Et cette image de moyen de transport pour les jeunes hommes en forme se répercute également sur qui choisit de se déplacer sur deux roues.

Les autrices et auteurs de l’ouvrage «Velowende» («Le tournant du vélo», pas encore traduit) citent trois approches pour que les choses changent. Il faut «lancer le processus sociétal, rendre les changements visibles et promouvoir la ville du vélo». Il est également nécessaire de «prendre ses responsabilités: planifier la ville de manière à ce que chacune et chacun puisse s’y déplacer.» Enfin, «les concepts de mobilité doivent inclure les besoins de l’ensemble de la population».

La typologie des cyclistes

En 2006, l’Américain Roger Geller a élaboré une typologie comprenant quatre types de cyclistes, qui a eu un fort écho parmi les spécialistes du domaine. Les «habiles et intrépides» se sentent à l’aise sans aménagement spécifique et représentent moins de 1% de la population. Les personnes «motivées et confiantes», environ 7%, aiment se déplacer régulièrement à vélo, quelle que soit l’infrastructure. Elles roulent volontiers sur les pistes cyclables. Les personnes «intéressées, mais inquiètes», représentent la catégorie la plus importante, avec environ 60% de la population. Elles seraient prêtes à faire davantage de vélo, mais n’osent pas pour diverses raisons. Enfin, les 33% restants, les «réfractaires», ne souhaitent pas ou ne peuvent pas faire de vélo.

Le groupe des personnes intéressées recèle un fort potentiel. Comment les motiver à monter en selle? En mettant à disposition une infrastructure qui donne un sentiment de confiance. Mais aussi en considérant les cyclistes comme un groupe hétérogène ne se limitant pas à l’homme jeune et en forme.

Les cyclistes comme Ute Studer et Hansruedi Stalder changent l’image que nous nous en faisons. Les voir sur deux roues montre que le vélo est également possible pour les personnes ayant des limitations physiques. Attention, Ute Studer se classe elle-même dans le groupe des «habiles et intrépides»: «Lorsqu’un camion me dépasse, je sors les coudes!» 

Une étude de l’Université de Berne s’est penchée sur les besoins des femmes migrantes et les défis auxquels elles sont confrontées, notamment en matière de vélo. Le rapport final souligne l’importance des modèles. Les femmes interrogées indiquent craindre de se faire observer par autrui et de devenir l’objet de commentaires. Pour les autrices et auteurs de l’étude, «les personnes montrant l’exemple permettent de briser les stéréotypes, de réduire les obstacles, 

J’ai montré qu’il était possible de travailler dans les soins à domicile sans voiture, et donc que la formation était aussi adaptée à des jeunes qui n’ont pas le permis de conduire.

Ute Studer

de motiver à pratiquer le vélo et de réduire la visibilité involontaire des femmes migrantes». 

La diversité dans l’utilisation

La diversité est aussi une question d’utilisation: Raphaël Dupertuis nous a par exemple raconté qu’il a un jour amené un canapé à la déchetterie au moyen de son vélo cargo. Sa voiture était tout simplement trop petite. Marianne Kuster, elle, se déplaçait à vélo en ville de Zurich lorsqu’elle était infirmière dans sa jeunesse. Elle s’y est remise à 63 ans, pour les soins à domicile: «Je ne passais pas inaperçue, c’est certain. Mais j’ai aussi montré qu’il était possible de travailler dans les soins à domicile sans voiture, et donc que la formation était aussi adaptée à des jeunes qui n’ont pas le permis de conduire.» Raphaël Dupertuis insiste, lui aussi, sur l’aspect politique: «Les personnes qui circulent à vélo contribuent au changement. Et, compte tenu des risques, cela reste un geste politique.»

J’adore rouler vite.

Ute Studer

Laura, la référence

Nous avons également voulu savoir ce que souhaitent les cyclistes. Leurs exigences se recoupent dans une large mesure: une meilleure infrastructure et plus de place pour le vélo. Une meilleure communication et plus de compréhension mutuelle, en particulier entre automobilistes et cyclistes: «Tous les automobilistes ne sont pas des fous de vitesse et tous les cyclistes ne sont pas épris de liberté au point de ne respecter aucune règle», affirme par exemple Jean-Marie Urfer.

Dans ce cas et si le «vehicular cyclist» n’est plus d’actualité, qui peut servir de référence? Laura, par exemple. Ce personnage fictif a onze ans. Elle a été inventée par le ministère allemand des Transports et du Numérique et incarne l’ensemble des personnes qui aimeraient faire du vélo, mais y renoncent pour des raisons de sécurité.

Si Laura peut se déplacer sans problème sur deux roues en ville, alors l’objectif d’une infrastructure cycliste sûre et attrayante est atteint. Et le potentiel est énorme: selon le microrecensement mobilité et transports, entre la moitié et deux tiers des personnes habitant en Suisse possèdent un vélo. Seuls 10 à 20% l’enfourchent régulièrement.